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Le panafricanisme : Idéologie politique et religion africaine en puissance

Dernière mise à jour : 28 mai


Illustration IA

Le panafricanisme est un mouvement politique né de la nécessité de rendre leur dignité et leur estime de soi aux Africains et afro-descendants, maintenus des siècles durant en état d’esclavage physique et mental, traités avec moins d'égards que des bêtes de somme et exposés aux pires barbaries imaginables.


Il se veut une réponse structurelle et holistique aux indicibles souffrances causées aux peuples africains par deux tragédies inqualifiables de l’Histoire de l’humanité : les Déportations transatlantiques des Noirs et La Colonisation, son corollaire et avatar. La première - un trafic humain trans-continental - a été une terrible saignée, faite de domination, d’avilissement et de déshumanisation à grande échelle.


Quant à la seconde, elle a parachevé l’entreprise d’aliénation savamment orchestrée par les Couronnes européennes avec la complicité de l’Église et des industriels pour, littéralement, posséder les corps et les esprits des Noirs et ainsi les assujettir de manière durable. Les deux, ensemble, sont donc parvenues à modifier substantiellement la trajectoire des populations victimes, créer entre elles de profondes et quasi irréconciliables divisions, et causer des traumatismes profonds, avec des séquelles indélébiles, qui sont aujourd’hui encore inscrites dans leurs façons de penser, d’agir, de se présenter et de se projeter. 


C’est cette plaie béante, ancrée dans l’histoire de l’Afrique, que le panafricanisme se donne pour objectif de guérir. Concrètement, il s’agit d’œuvrer à unifier les communautés afro-descendantes autour d’un idéal commun, qui est celui d’atteindre l’autodétermination politico-économique. 


Le panafricanisme n’est donc pas une création récente ; il est en fait l’aboutissement d’une longue lutte de libération, menée d’abord par des esclaves entrés en rébellion contre leurs maîtres, puis poursuivie par des intellectuels noirs en Europe et dans les Amériques (Henry Sylvester-Williams, W.E.B Dubois, Benito Sylvain…) Aujourd’hui, il est médiatiquement porté des figures médiatiques ou de la sphère du Net qui passent l’actualité africaine au filtre de cette pensée aussi libératrice qu’intransigeante voire injonctive mais toujours plus percutante et plébiscitée, notamment, par une jeunesse survoltée et prête à en découdre.



W.E.B Dubois ©️DR

Le panafricanisme est désormais en vogue sur le continent africain et inspire de plus en plus de leaders politiques et de la société civile. Mais la popularité des nouvelles figures du panafricanisme suscite l’inquiétude chez les tenants du système politico-médiatique mondialisé, qui la voit – à juste titre – comme une sérieuse menace à leurs intérêts vitaux.

Aussi, se sont-ils lancés dans une série d’attaques en règle visant à diaboliser l’idéologie et ses porte-voix. Mais pour ceux qui rêvent d’une Afrique unie et prospère, le panafricanisme est un précieux et opportun joyaux. 


Les origines du panafricanisme


Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’idéologie panafricaniste n’est pas née sur le continent africain. Elle a été imaginée et conçue par des Africains de la diaspora, ceux-là même que le destin avait, par millions, enchaînés et enfermés dans les cales des bateaux négriers, puis transportés, par-delà les mers vers des destinations inconnues. Ils vivent le mépris dans toute sa laideur, les maladies, la déshumanisation, le viol, la violence du verbe et celle des coups. Mais, forts des mânes des ancêtres, et de la civilisation plusieurs fois millénaires à laquelle ils furent arrachés, ils veulent se prouver, d’abord, que même lorsqu’on s’acharne à nier leur humanité, on ne réussit jamais à étouffer chez eux ce souffle ontologique qui les différencie fondamentalement de l’animal et les élève même au-dessus de leurs bourreaux. Dans les Requiem fredonnés à chaque fois qu’un des leurs était exécuté de sang-froid, dans les râles qui ponctuaient leurs prières silencieuses, et dans les zébrures brûlantes laissées sur leurs dos par le maître fouettard, ils trouvaient la force de croire en un avenir radieux. Ce futur, ils le voulaient pour leur descendance – leurs enfants et les enfants de leurs enfants. Ils l’avaient imaginé loin des champs de coton d’Amérique ou d’Europe, au cœur d’une Afrique verdoyante et revigorée. Alors ils en firent un état d’esprit qui leur permit de transcender la peur et d’affronter, souvent au prix de leurs vies, l’animosité intransigeante de ceux qui n’aspiraient qu’à les maintenir dans les chaînes. Ainsi a été façonné le mental d’acier des « Nègres marrons », ces esclaves fugitifs qui refusaient de vivre dans la servilité et s’enfuyaient pour vivre dans les bois et créer des communautés libres et autonomes. Cet état d’esprit a résisté à l’adversité et à la torture, a bravé le temps et s’est matérialisé dans le combat des premiers panafricanistes, ceux qui seront à l’origine de ce vaste mouvement de libération de la conscience nègre.


C’est donc en 1900, à Londres que se tient la première ‘’conférence panafricaine’’, organisée par le Trinidadien Henry Sylvester-Williams. Elle réunit quelques dizaines de participants dont l’américain W.E.B Dubois, figure de proue du panafricanisme et l’haïtien Benito Sylvain. Fait notable, ce rassemblement se tient au même moment que l’Exposition Universelle de Paris, qui fut un zoo humain installé en plein cœur de la capitale française afin d’y exhiber les membres des « communautés primitives », comme ils le firent dans les éditions précédentes, avec la Vénus Hottentote qui connut un destin tragique.


Plusieurs autres rencontres eurent ensuite lieu. Dénommées « Congrès panafricains », elles étaient, à chaque fois, adossées à un évènement majeur de l’agenda politique international. Celui de février 1919, en marge de la Conférence de Paris, organisée par les vainqueurs de la Première Guerre Mondiale, est un moment fondateur. Dubois réunit les congressistes pour, notamment, évoquer la nécessité pour les peuples Noirs d’être associés à la gestion de leurs territoires. C’est Blaise Diagne, député du Sénégal qui manœuvre auprès de Georges Clémenceau pour faire autoriser la tenue du Congrès. Les Congrès de 1921, 1923 et 1927 sont de moindre importance en termes de participation. Mais c’est véritablement à partir de 1945, au Congrès de Manchester, que les élites africaines vont s’emparer de l’idéal panafricain et lui donner une tournure clairement revendicative.



Kwame Nkrumah ©️DR

L’artisan de ce changement est un certain Kwame Nkrumah, un intellectuel Ghanéen. Avec Jomo Kenyatta et Hastings, entre autres, il appelle à l’unité des pays africains et à la lutte pour la libération de la race noire partout dans le monde. Ces trois figures dirigeront leurs pays respectifs : le Ghana, le Kenya et le Malawi. Le panafricanisme se téléporte alors dans ce qui demeurera à jamais son sanctuaire : l’Afrique, la terre-mère.


Le contexte d’après-guerre


Le 08 mai 1945, est signé l’armistice mettant fin à la Deuxième Guerre Mondiale en Europe. Cette convention arrive comme la suite logique d’une série de débâcles enregistrées par la Wehrmacht, malmenée par les troupes alliées, notamment, sur le front soviétique et sur les côtes normandes. Acculée de toute part, l’Allemagne nazie capitule et abandonne à jamais son rêve d’hégémonie et de suprémacisme racial. Dans les années qui suivirent, les Etats-Unis et l’URSS, assoient et/ou consolident leur domination sur le reste de la planète. Entre ces deux ogres, débute alors la « Guerre froide », un conflit d’un nouveau genre, qui se mène par pays interposés.

On assiste alors à une refonte quasi-complète de l’ingénierie de la guerre, qui pose un principe jusque-là inédit : les belligérants ne combattent pas. Pendant des décennies, la guerre froide fera des centaines de milliers de victimes en Asie, en Afrique, en Amérique et en Europe, sans jamais directement impliquer les troupes des véritables instigateurs.   

Tirailleur Africain ©️DR

Dans le conflit mondial de 1939-1945, comme dans la guerre froide, l’Afrique a été largement mise à contribution dans l’effort de guerre. Elle a fourni des hommes par milliers, ses terres ont servi de théâtre à diverses expérimentations scientifiques (camps de concentration, tests d’explosifs etc.) et ses villes ont abrité d’illustres résistants (Brazzaville était la capitale de la France libre). Et bien qu’elle ait payé un lourd tribut pendant cette période sombre de l’histoire de l’humanité, l’Afrique en a aussi tiré quelques avantages. 


En effet, pour avoir combattu côte à côte avec leurs camarades blancs, les tirailleurs africains ont fait tomber le mythe de l’invincibilité de l’homme caucasien. Ils ont ainsi pu s’élever d’un cran en invalidant les thèses scientifiques qui faisaient d’eux des êtres inférieurs, ouvrant ainsi la voie à des revendications indépendantistes qui aboutiront à une vague de décolonisation dans les années 60.


A partir de là, le panafricanisme servira de socle à la création de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). Il tentera encore de faire quelques percées ici et là, mais se confrontera à une série de problèmes, notamment la différence de vision entre des francophones largement acquis à une coopération renforcée avec l’ancienne tutelle coloniale, et des anglophones bien décidés à couper le cordon ombilical. En outre, cette organisation panafricaine ne se dotera jamais d’instruments solides ni d’un budget conséquent pour atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés. Pas plus qu’elle ne continuera le combat originel mené par les pères fondateurs, qui est celui de l’unification des diverses formes d’africanités éparpillées à travers le monde. Le mouvement rétrécira petit à petit pour ne devenir que la caisse de résonance d’une époque considérée comme dépassée.


Le nouveau souffle  


Si sous l’ingérence systématique des grandes puissances dans les affaires africaines l’impact de l’idéologie panafricaine s’est réduite comme peau de chagrin, des poches de résistance ont subsisté à certains endroits du continent et de la diaspora. Éclairés à la lanterne de l’histoire, de nombreux activistes ont continué à entretenir la flamme, attendant que les vents redeviennent favorables pour tenter de revenir au-devant de la scène. Dans les années 90, la chute du mur de Berlin et l’implosion de l’union soviétique ont rebattu les cartes de la géopolitique mondiale. Ainsi, l’architecture bipolaire du monde est devenue de moins en moins pertinente.


Aujourd’hui, même si les rapports entre les Etats-Unis et la Russie demeurent houleux et tumultueux, ils ne structurent plus les relations internationales de façon exclusive. De nouveaux acteurs sont apparus sur la scène : le Brésil, l’Inde, la Chine, notamment. Leur volonté de jouer le contrepoids face à la super-puissance américaine est clairement affichée.

C’est dans ce contexte que des leaders jeunes et charismatiques ont décidé de redonner un nouveau souffle à l’idéal panafricain. Signe des temps, ils sont plus déterminés et plus intransigeants que leurs pères ; et bien évidemment, ils font peur. Cette peur panique qu’ils suscitent dans les plus hautes sphères de la politique internationale engendre des réactions différenciées, mais toujours extrêmes : on les aime ou on les déteste. Pourtant quelques éléments passés à la loupe permettent d’en avoir une approche rationnelle fondée sur des arguments et libérée des propagandes et outrances en tous genres.


1. Le monde entier renoue avec la logique des grands ensembles - disons même des empires – reconnaissant clairement que les États-nations, pris individuellement, sont incapables de peser sur les grandes décisions dans le nouveau monde qui se dessine. Mais alors, dans cette dynamique planétaire, où en est l’Afrique ? Comment notre continent se positionne-t-il face aux autres ? Quelles stratégies collectives met-il en œuvre pour exister en tant que collectif ?


2. La réponse à ces questions préalables et les enjeux qu’elles drainent vont bien au-delà des considérations de personnalisation ou diabolisation de quelque leader. 

3. En tant que peuple, mémoire et aspiration, l’Afrique veut définir une vision, un horizon, un idéal partagé. Cette injonction vitale est l’essence même du panafricanisme, d’où les accents sacrificiels et messianiques  qu’elle semble parfois emprunter au magistère du religieux, comme si le panafricanisme vivait se béatitudes comme religion de survie et de salut du peuple noir, depuis son exode africain.


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