Pour ses adeptes (nombreux), il est infaillible. Pour ses
détracteurs, il s’agit d’un phénomène religieux. Pour les
autorités de santé publique, il doit désormais se conformer aux
normes. Pour les amoureux de ce "success stories", c’est le coup
marketing de l’année en Afrique centrale. Après trois ans de croissance folle de cet onguent-antalgique-miracle vendu à la criée ; aux quatre coins des rues, le gouvernement et le
promoteur de Bome François, François Désiré Ekoumou, sont
tombés d’accord pour une trêve de vente du produit, le temps de
sa mise en conformité aux normes sanitaires.
Correspondance à Yaoundé,
Séverin Aléga Mbélé
La voix de stentor vantant les vertus du Bome Francois va s'éloigner du public pendant quelques semaines, voire des mois. On y était
habitué. Pour la seule ville de Yaoundé, les distributeurs de ce
produit couvert de louanges excessives, identifiables par leurs
casquettes et polos aux manches courtes de couleur rouge, ont
investi tous les points à forte concentration humaine. À grand
renfort d’une publicité amplifiée par de porte-voix, ils ont
envahi les espaces publics : marchés, carrefours, débits de
boisson, feux de signalisation aux lieux-dits Bata Nlongkak ou
Poste Centrale. Leur approche marketing a fini par convaincre
les consommateurs que le produit développé et vendu est de
qualité. À tout le moins, il " contribue à la santé et au bien-être"
de la population. Qui ne souvient pas de Ginette, Line et
Georgette, élèves de l’école catholique du Sacré Cœur Mokolo,
de retour des classes, répétant mot à mot dans un claquement
de mains bruyant, comme savent le faire tous les enfants de
leur âge, le message publicitaire fétiche « Bome François,
commandant de tous les baumes » !?
Les marchés étaient inondés. Les ménages aussi. Par la vente
ambulante et à la criée, les distributeurs, hommes et femmes,
ont su occuper le terrain. La notoriété, plus prosaïquement,
l’efficacité du Bome François a atteint les villages les plus reculés du pays.
À Nguibassal, dans la zone forestière, difficile d’accès du peuple
Bassa Mpoo, les personnes du troisième âge en ont fait un
filon. Martha, étudiante en diplomatie à l’Institut des Relations
Internationales, a toujours à l’esprit la demande forte et
insistante de sa grand-mère à son dernier passage dans le
village qui l’a vue naître « Mamy, bredouilla-t-elle d’une voix
fatiguée à peine audible, à ta prochaine venue, n’oublie pas de
m’acheter trois boîtes de Bome François. Ça ne coûte que 500
FCFA la boîte. Dieu a comblé nos attentes par la découverte de
ce produit qui à l’usage nous fait retrouver le sommeil de notre
tendre enfance ». Au coucher, témoignent d’autres utilisateurs,
l’application du Bome françois atténue les douleurs corporelles.
Les courbatures et démangeaisons s’estompent d’elles-mêmes.
On respire à pleins poumons. Le mouvement des articulations
est plus fluide. Les traumatismes liés à l’état de vieillesse des
cellules humaines sont moins agressifs. Il suffit de peu dans les
narines pour arrêter une vilaine grippe qui s’annonce.
Le bome François a fait jusque-là un parcours exceptionnel.
Son incrustation ou plutôt son taux de pénétration dans le
corps social a fait des émules. Un peu comme les entreprises
brassicoles, Bome François, une « entreprise pharmaceutique
fondée en 2021 » par
François Désiré Ekoumou a structuré à merveille son réseau de
distribution. Au centre, une communication de masse . Son
histoire change d’orientation, lorsqu’en 2023, la mise en
circulation d’un produit contrefait est annoncée par le
promoteur. Par le relais de la presse, une rumeur assez folle est
distillée à dose homéopathique mettant en doute le respect des
normes les plus strictes en matière de qualité et de sécurité. Sur
les réseaux sociaux, des appréhensions attribuées à l’Ordre
National des Pharmaciens sont relayées abondamment. Et puis,
par un effet d’entraînement, le ministère de la santé publique se
saisit prudemment de ce dossier s’appuyant sur des avis
techniques de sa chaîne d’information.
En date du 19 mai 2024, les données changent complètement.
Ce qui était jusque-là considéré comme une rumeur malsaine,
une tentative d’étouffer dans l’œuf l’initiative d’un promoteur
privé, a fini par se révéler au grand public. Le communiqué
publié à l’issue de la conférence de presse donnée à Yaoundé
par François Désiré Ekoumou indique clairement qu’il y a eu
effectivement une consultation entre le ministre de la santé
publique, Dr Manaouda
Malachie, le président de l'Ordre National des Pharmaciens du
Cameroun et le promoteur de Bome François. Parmi les points
importants actés : la conformité réglementaire, l’amélioration
des processus de production, le renforcement de l'équipe « pour
garantir la qualité et la sécurité des
produits »
En attendant de constituer un dossier complet pour se
conformer à toutes les exigences réglementaires en vigueur,
l’entreprise Bome François dont le siège social est sis au
quartier Mimboman à Yaoundé confirme ce qui se susurrait
déjà, à savoir que « la production sera temporairement
suspendue dans l'usine afin de mettre en place des processus
de fabrication conformes aux normes les plus strictes. Cette
pause nous
permettra, poursuit le communiqué, de renforcer nos
procédures et d'assurer la qualité de nos produits »
Une lueur d’espoir tout de même pointe à l’horizon. Les
nombreux consommateurs sont informés qu’en « conformité
avec
le ministère de la santé publique, le Bome François reviendra
sur le marché
après l’obtention de l’autorisation de Mise sur le Marché
(AMM) et les autres
agréments nécessaires à la fabrication, contrôle qualité et
distribution...
Après l’obtention de l’autorisation de Mise sur le Marché
(AMM), le Bome
François ne sera plus vendu à la criée comme cela se fait en ce
moment mais il va intégrer le circuit officiel » À l’avenir et le
promoteur le reconnaît lui-même : Bome François « va se
retrouver dans tous les centres de santé, les
cliniques, les hôpitaux, les officines et tous les autres sites de
distribution de
médicaments légales et qui seront retenues par le Ministère de
la Santé
publique »
L’imbroglio, c’en est un, débouche sur un constat simple. A
contrecœur, le public nombreux va temporairement s’éloigner
de ce produit devenu un « produit de consommation courante »
bien que l’on établisse l’existence d’un test
de non-toxicité délivré par l'Institut de Recherches Médicales et
d'Etudes des
Plantes Médicinales (IMPM) du Ministère de la Recherche
Scientifique et de
l'innovation »
Pudiquement, on peut reconnaître que le ministère de la santé
publique a joué à fond son rôle de veille en rapprochant les
spécimens
de ce produit des dispositions prévues dans le circuit légal de
distribution des médicaments au Cameroun.
Avec un peu de recul, on peut minimalement reconnaître que
l’initiative de François Désiré Ekoumou et son groupe prend un
sacré coup. La mission première qui est celle de « contribuer à
la réduction du taux de chômage élevé au
Cameroun en offrant des opportunités de distribution des
produits » perd de sa verve. 3500 jeunes Camerounais parmi
les distributeurs
et producteurs, seront en inactivité, le temps de la
normalisation.
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