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La Confédération des États du Sahel, épicentre de la désoccidentalisation en Afrique

Dernière mise à jour : 14 juin

L’histoire politique africaine s’écrit continuellement en pointillés. Il en est

ainsi depuis l’ère des indépendances, dans les années 60, jusqu’à nos jours.

Entre instabilité chronique interne et ingérence extérieure, le continent

peine à inventer des modèles adaptés à ses réalités et capables de répondre

efficacement aux nombreux défis qui entravent sa quête légitime de

progrès. Dans ce long fleuve impétueux de sa longue histoire, faite de

destructions et de recompositions de ses peuples, d’alliances qui se font et

se défont, d’États aux frontières mouvantes, depuis le Wagadou il y a plus

de 15 siècles, trois pays du Sahel (le Burkina Faso, le Mali et le Niger) ont

décidé de prendre une nouvelle direction au plan politique, en rupture

totale avec les traditions en usage et les partenariats diplomatiques

historiques en vigueur depuis la colonisation et les Indépendances des post-

colonies de 1960. Leur volonté de conjuguer leurs efforts économiques et

régaliens afin d’ériger une Confédération suscite une levée de bouclier au

sein de l’establishment des anciennes puissances coloniales d’Occident et

leurs relais institutionnels et médiatiques internationaux. Et pour cause !

Leur projet d’intégration politique est en complet déphasage avec ‘’l’ordre

mondial’’. Par leur attitude cavalière, ces pays se posent ainsi en chantre

de la désoccidentalisation sur le continent africain.



La dynamique africaine


La désoccidentalisation pourrait se définir comme le rétrécissement progressif,

à l’échelle planétaire, des normes institutionnelles et économiques, des valeurs

ainsi que des modes de vie et des traits culturels hérités du modèle occidental,

répandu par son expansionnisme suprémaciste. Le mouvement qui se

revendique à rebours du legs colonial du système occidental en Afrique est une

contestation protéiforme qui ambitionne, par exemple, de redonner vie à des

formes anciennes de gouvernance ou à créer des modèles alternatifs pour, à

terme, gommer ceux imposés par l’impérialisme. Il ne s’agit pas, comme

voudraient faire croire certains penseurs, d’une somme d’actions isolées, mais

bel et bien d’un mouvement politique pensé, articulé et mis en œuvre par des

acteurs, certes géographiquement éparpillés, mais mus par un intérêt commun :

le retrait du legs sociétal occidental et son remplacement par des cadres

endogènes, censés mieux répondre aux aspirations des peuples.


Il faut dire qu’en soi, cette volonté des anciennes colonies de s’affranchir de

l’hégémonie extérieure n’est pas nouvelle. Elle était déjà en germes après la

Deuxième Guerre Mondiale dans l’idéologie prônée par le mouvement des

non-alignés. En Afrique, on la retrouve sous la plume du Ghanéen Kwame

Nkrumah ou dans les actions politiques du Togolais Sylvanus Olympio, ou du

Nigérien Djibo Bakary, par exemple. Tous militaient pour une indépendance

animée par une franche volonté de mettre fin aux manœuvres de domination de

l’ancienne puissance tutélaire. Et cette rupture qu’ils appelaient de leurs vœux

se voulait systémique, c’est-à-dire dépassant largement le simple cadre

discursif pour apporter des changements réels au triple plan politique,

économique et culturel. En outre, ils la voulaient adossée à l’idée, d’une part,

que les actes posés par l’Occident dans ses anciennes colonies sont

systématiquement à contre-courant des valeurs qu’il prône, clame, proclame et

déclame dans ses médias et les Institutions à sa solde, et, d’autre part, que le

système colonial n’est efficace que lorsqu’il est arrimé à un réseau de relais

institutionnels et d’acteurs au niveau local qui défendent sa vision et ses

intérêts ; ce qui, évidemment, ne peut se faire qu’au détriment du bien-être des

peuples des anciennes colonies. Ainsi, devant un constat aussi implacable, les

États-Nations embryonnaires se retrouvent désormais face à une responsabilité

historique : celle de s’approprier leurs propres réalités et d’inventer leurs

propres solutions. C’est le minimum auquel ils puissent aspirer après près de 65

ans d’observation d’un monde impitoyable qui a été érigé sans eux, et

probablement contre eux. Ils savent que, maintenant, il est temps de quitter le

bateau des discours convenus, de la prospérité fictive pour enfin accéder à la

souveraineté réelle. Et pour enfin prendre son envol, transcender les flatteries et

les critiques des autres peuples, cesser de n’exister que dans leurs regards et à

l’ombre de leur condescendance, il faut rompre. Mais les conditions

contractuelles avec l’ancien ogre-partenaire sont un corset juridique dont on ne

sort pas sans lutte : c’est la bataille engagée par l’AES aujourd’hui, une bataille

pour sa souveraineté, sa sécurité et sa stabilité, qui sont les fondements

préalables à la (re) construction de tout État, soucieux d’offrir à sa population

un bien-être social dans l’espace sociopolitique et économique dans lequel elle

évolue.



L’exception sahélienne


Lorsque l’on parle du Sahel, on fait référence à la bande qui ceinture le

continent africain sur toute sa largeur, de Dakar à Djibouti. Le vocable ‘’Sahel’’

est aujourd’hui l’un des plus utilisés par les analystes en géopolitique ; et pas

toujours pour le meilleur. Dans les médias, éditorialistes, politiques, penseurs et

activistes de tous acabits rappellent à l’envi le contexte difficile et l’équilibre

précaire qui caractérisent cette zone géographique, géopolitique et hautement

stratégique. Objet de toutes les attentions, cette zone concentre des richesses

insoupçonnées et cristallise les espoirs d’acteurs aux intérêts le plus souvent

antagonistes. Les grandes puissances et leurs multinationales s’y bousculent

pendant que les groupes « terroristes » (ou mercenaires protéiformes (c’est

selon) ) en ont fait leur terrain de prédilection. Pour les premières, il s’agit de

faire main-basse sur les ressources minières, indispensables à leur appétit

hégémonique, tandis que les seconds tentent d’y mener des projets politiques

présentés comme alternatifs mais, en réalité, un corpus idéologique raide,

austère, anachronique, traditionaliste et chaotique, à relents sulfureux et

religieux. Dans les deux cas, l’Afrique ne sert que de sommier à ces goinfres ou

de fumier à engraisser ces barbaries portées par un arsenal aussi sophistiqué

que mortifère.


C’est pourtant dans cette région, qui a tout d’un no man’s land, qu’est en train

de s’écrire une page d’histoire révolutionnaire ! Le Burkina-Faso, le Mali et le

Niger sont en train d’opérer un revirement spectaculaire, qui a pris tout le

monde de court. A eux trois, ils sont devenus une épine dans le pied des

institutions internationales. Dirigé chacun par un régime d’exception, ils se sont

regroupés au sein de l’AES (Alliance des États du Sahel), qu’ils ont créée en

prélude à leur départ de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest

(CEDEAO) ; départ qui a, depuis lors, été acté. Ces remous générés par trois

États considérés – à tort, sans doute - comme fragiles seraient restés



épiphénomène s’ils s’étaient simplement limités à un changement

inconstitutionnel de régime. Le problème, c’est que la dynamique qui en a

découlé dépasse tous les pronostics, y compris ceux émanant des supposés plus

grands spécialistes. Sous l’œil médusé des observateurs de la scène politique

mondiale, ils sont progressivement en train de détricoter les fondements sur

lesquels se sont solidement fixées les relations entre l’Afrique Noire et le

monde occidental au sortir des deux Grandes Guerres. Et tout porte à croire que

ce mouvement continuera à prendre de l’ampleur.


En effet, il est indéniable que le sursaut révolutionnaire créé dans la foulée de

l’AES est en train de faire tache d’huile dans les opinions publiques africaines.

Pour une fois, on voit naître sur le continent des stratégies organiques visant à

dynamiter tous les cadres de référence existants au plan politique, économique

et social. L’Occident veut continuer à croire qu’il s’agit d’une réaction

épidermique dont les effets seront passagers, soit d’une entreprise téléguidée de

l’extérieur. Ils y voient ainsi la main invisible de la Russie, de la Chine et de

l’Iran. Cette vision n’est que partiellement vraie car en regardant de plus près

ce qui est en cours actuellement, on se rend compte qu’il s’agit d’un

mouvement de fond, porté par de véritables envies de changement et par des

stratégies bien élaborées. En outre, grâce aux réseaux sociaux, on a assisté à

l’éclosion d’une conscience politique au sein de la jeunesse africaine, laquelle

aspire aujourd’hui à vivre libre et à bénéficier pleinement de ses richesses, et

qui le fait savoir. Ainsi, à la défiance grandissante vis-à-vis du modèle

occidental, vient s’ajouter une colère exprimée sans complexe.



Le désamour du Sahel pour l’occident n’est donc pas un écran de fumée, mais

bien un véritable tournant. A l’évidence ces trois États parmi ‘’les plus pauvres

de la planète’’ sont en train de rebattre les cartes géopolitiques à un niveau

impressionnant. Ils semblent bénéficier du soutien massif (à tout le moins,

passif) de leurs populations, au nom desquelles ils jurent parler. Réduites à un

silence forcé par leurs oppresseurs internes et externes depuis des décennies,

ces dernières n’acceptent plus de subir stoïquement l’exploitation sauvage de

leurs mines, la partition de leurs terres et les tueries en masse de leurs enfants.

Elles ne conçoivent plus que les voix de leurs leaders sonnent comme des

fanfaronnades incapables de convaincre grand monde, lorsqu’elles ne sont pas

diluées dans des discours convenus et répulsifs. Ces dernières années,

l’enchevêtrement des enjeux liés au Sahel s’est davantage complexifié, de

même que les appétits qu’aiguise cette portion d’Afrique vouée à des formes

extrêmes de prédation ; tant et si bien que les positions se sont durcies, voire

radicalisées.


Nous faisons le pari que dans les prochains mois, de nouveaux pays se

rapprocheront de l’AES. Et au vu de l’évolution actuelle des choses, les

positions des occidentaux continueront d’osciller entre le déni, le mépris ou la

persistance. Aucun indice ne permet de présager un changement salutaire de

braquet, ce qui est une mauvaise nouvelle pour ceux qui aspirent à la paix et au

vivre-ensemble.

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