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JULIE OWONO : Juge suprême de Facebook

Dernière mise à jour : 14 juin

Parcours & Entretien

© Alexandre Gouzou JA


Michael W. McConnell, ancien juge fédéral américain, Catalin Botero Marino, célèbre avocate Colombienne, Helle Thorning-Schmidt, ancienne Première ministre danoise, l'avocate pakistanaise Nighat Dad ou encore l'activiste yéménite et lauréat du prix Nobel de la paix Tawakkol Karman : voici quelques-unes des figures qui siègent au Conseil de surveillance de Facebook Meta, un aréopage d’experts du droit, de défenseurs des libertés dont les avis s’imposent en dernier recours en cas de litige en relation avec des contenus diffusés sur Facebook. Parmi ces experts tous plus réputés les uns que les autres, un bout de femme venue d’Afrique participe aux délibérations : Julie Owono.




Julie Owono voit le jour à Douala, au Cameroun, il y a moins d’une quarantaine d’années. Elle passe son enfance auprès de

sa mère, tenancière d’un restaurant connu. Mama Elisabeth tient la dragée haute aux marins qui arrivent du Port le midi pour se

restaurer et met de l’ordre dans son établissement sans recouri à quelque assistance. La petite Julie observe innocemment mais relève timidement que plusieurs scènes l’ont marquée et sans doute déterminée à s’orienter vers l’avocature.

Depuis son Cameroun natal, Julie Owono a pris soin de faire escale à Paris, d'y devenir avocate, de s'installer à la tête d'internet Sans Frontières avant de traverser l'Atlantique et siéger désormais au Conseil de surveillance de Meta Facebook...le tout en à peine une quarantaine d'années. C'est peu dire que sa trajectoire est vertigineuse et empreinte d'excellence et d'ambition.


En Californie où elle vit désormais, entourée de son compagnon et ses deux enfants, l'avocate parisienne partie du pays des Indomptables siège aux côtés de prix Nobel, d'anciens juges de la Cour Suprême américaine ou de figures mondiales des Droits de l'homme venues des quatre coins de la planète. Un parcours, un caractère et des valeurs forgées sur les bords du fleuve Wouri à Douala, dans ce restaurant couru et situé près

du port de la capitale économique camerounaise, dont elle se remémore les scènes : " j'ai observé des scènes, enfant, qui m'ont marquée, observant ce petit bout de femme alpaguer des dockers indélicats et gérer son affaire avec autorité et un investissement de tous instants. Je crois que tout est parti de là", confie-t-elle, en ponctuant son propos du loin écho d'un sourire. Fille unique, elle débarque en France au lycée, passe son Bac avec brio puis la Fac de droit et le barreau en un temps aussi bref que celui qu'il faut pour toiser sa petite silhouette. Erreur fatale pour ceux qui s'y méprendraient : Julie a du caractère. Elle le tient de son peuple de seigneurs de la forêt de la région de Yaoundé, à Ekombitié, de son enfance aux joyeusetés du restaurant tenu par sa mère et à cette ambition tellement camerounaise... Au Cameroun, berceau des ancêtres des Manu Dibango, Francis Bebey, Engelbert Mveng, Mongo Beti, Baba Danpullo, Paul Fokam, Roger Milla, Yannick Noah, Achille Mbembe, Alain Foka, Denise Epotè, Calixthe Beyala, Pierre Ngahane, Richard Bona, Samuel Eto’o, Léonora Miano, Imane Ayissi, Séverin Kezeu, Djaïli Amadou Amal, Jean-Louis Bénaé, Cédric Ndoumbè, Kylian Mbappè, Francis Ngannou, tous partis à la conquête du monde, rien n’est impossible à celui qui s’en donne les moyens, les gènes œuvrent et la terre est bénie.



À peine reçue au Barreau de Paris en 2016, Julie Owono intègre l'ONG Internet Sans Frontières pour porter la cause de la liberté d'accès à l'internet dans le monde et notamment au plan de la liberté d'expression. Elle propose aussitôt la créationd'un bureau Afrique dont elle prend la tête. Pas de temps à perdre : en une foulée, là voilà à la tête de la Direction Générale de l'organisation. Elle se fait remarquer sur les dossiers tchadiens et sénégalais en défendant la liberté d'expression de ces peuples coupés de la toile à l'occasion d'élections présidentielles verrouillées par les pouvoirs locaux. Internet est son cheval de bataille depuis que, jeune étudiante, elle découvre le Blogging et s'épanouit à s'exprimer en tant que

" jeune femme noire, africaine éduquée et vouée à un chemin tout tracé ". Elle se met à la place se toutes celles sur le continent africain qui ne peuvent s'exprimer. Alors elle en porte

toutes les causes; d'ailleurs, une figure de son pays ressort de son discours : Me Alice Kom, la militante des Droits humains et farouche opposante au régime en place. Son militantisme fait mouche et très vite elle va écumer les plateaux de télévision pour commenter l'actualité internationale et apporter ce point de vue de la société civile. Elle excelle.


Son propos est tranchant, les chaînes internationales se l'arrachent : Telesud, France 24, Al Jazzera et tant d'autres, sa coupe afro est connue aux quatre points cardinaux de la planète. Il n'en fallait pas plus pour que l'Amérique entre en scène : ce sera L'université de Harvard qui lui propose d'incuber un module sur la liberté d'expression sur Internet. Elle y embarque

sa famille, l’occasion est trop belle : un pays où tout devient possible...où l’ambition la plus folle peut se réaliser. ! Et l’histoire semble seulement commencer…




Interview Julie OWONO


"J’ai désormais un peu la casquette d’une juge. Je dois arbitrer entre la protection de liberté, liberté fondamentale, dont la liberté d’expression, et la liberté d’une entreprise de décider quel contenu elle veut voir sur ses plateformes."


Quel est votre parcours depuis Paris, il y a quelques années, de l’étudiante en droit engagée, avocate, militante de la liberté de la presse, droit-de-l’hommiste... jusqu’à présent où l’on vous retrouve au Conseil de surveillance de Meta Facebook : que faites-vous exactement au sein ce mastodonte mondial de l’économie et du Numérique ?


Julie Owono: Alors, je commence par les études de droit… C’est une réelle vocation qui m’a conduit à entrer à la fac de droit en 2004. Depuis l’âge de huit ans, j’ai la passion défendre des causes, de défendre les personnes faibles, de défendre des principes. Cette passion a été nourrie de toutes les injustices dont j’ai été témoin. Ensuite, parcours assez classique, j’ai fait ma licence de droit à la faculté de droit de Limoges, j’ai ensuite fait une année de Master à l’université Montesquieu, Bordeaux IV. Et en 2008, je débarque à Paris pour faire mon Master 2 administration internationale. Pour valider mon Master, je vais passer près d’un an d’abord au Laos puis au Cambodge dans des organisations internationales défendant les droits des migrants. Autour de 2010, je découvre la puissance du Blogging (ndlr : Le terme blogging est un anglicisme qui se traduit par «bloguer » en français. À noter que le blog représentait au départ une sorte de journal personnel accessible à tous grâce à Internet. Bloguer signifie donc tenir un journal intime en ligne).


À l’époque c’était unique de pouvoir exprimer ses opinions sur un espace global, et espérer être vu(e) au-delà des frontières, et dans des cercles d’influence. Le Blogging m’a fait prendre

conscience de l’importance, de la responsabilité et du rôle d’une jeune femme comme moi, à l’époque, étrangère vivant en Europe, en France, et promise à un Destin tout tracé, celui

d’une jeune diplômée immigrée à Paris.


Je commence à m’immiscer au sein de Internet Sans Frontières où je développe le Bureau Afrique. Par la suite, je prends la tête de l’organisation grâce aux campagnes victorieuse menées en faveur de la libre expression en ligne. Petit bond dans le temps : en 2019, je reçois une offre de bourse de l’Université d’Harvard, plus particulièrement son centre Berkman Klein Center pour l’Internet et la société. j’embarque homme et enfants vers Boston, où nous passerons quelques mois avant de refaire nos valises pour la Californie, où nous nous trouvons désormais.



Quelles sont vos occupations précises chez Meta ? Comment tranchez-vous et défendez-vous la liberté d’opinion sur ce réseau social où les publications s’affrontent et s'opposent par la culture ou des antagonismes géopolitiques, historiques ou identitaires ?


Je suis aujourd’hui, l’une des membres du Conseil, de surveillance de Meta, Oversight Board, en anglais. Le Conseil a été comparé à une sorte de Cour suprême de Facebook, Instagram et Threads : nous prenons des décisions en dernier ressort sur les contenus supprimés ou laissés en ligne par Meta. Par exemple, si vous faites une publication sur Facebook, et

que celle-ci est supprimée pour violation des règles de la communauté Facebook, vous pouvez faire appel auprès du conseil de surveillance, qui rendra en dernier ressort une

décision qui s’impose à Meta. Nous sommes une organisation globale rassemblant des experts en matière de Liberté, de Droit de la presse, représentant une grande diversité, allant des États-Unis à la Grande-Bretagne, l’Inde, le Pakistan, l’Australie ou Le Yémen. Nous faisons également des recommandations à Méta sur les manières d’améliorer la protection de la libreexpression sur ces plates-formes.



Julie Owono...et les Etats-Unis… Comment se passe votre installation aux États-Unis ? Est-ce le meilleur endroit pour atteindre vos objectifs personnels et professionnels, et porter les causes qui vous tiennent depuis toujours à cœur?


Nous vivons depuis cinq ans aux États-Unis avec ma famille. Eh oui, c’est la réalisation d’un rêve. Comme je disais, les États-Unis sont venus me chercher à Paris et les États-Unis, ils m’ont beaucoup apportée. Le travail que je fais actuellement m’amène à participer à des prises de décision importantes au niveau international : décider de la liberté d’expression sur trois des réseaux sociaux les plus utilisés au monde. Les États-Unis sont un pays magnifique, complexe et fort de sa diversité. Nous nous sommes installés en Californie dans la baie de San Francisco, qui peut être aujourd’hui considérée comme l’un des principaux centre du monde. C’est aussi un pays où toutdevient possible. L’ambition la plus folle peut se réaliser.

Êtes-vous aujourd’hui l’avocate militante au service de la liberté d'expression ou simplement une technicienne du droit au sein d'un organisme qui s'occupe de régulation de cette liberté : quelle est la part de vous-même dans cette instance ?


Je dirais plutôt que j’ai désormais un peu la casquette d’une juge. je dois arbitrer entre la protection de liberté, liberté fondamentale, dont la liberté d’expression, et la liberté

d’une entreprise de décider quel contenu elle veut voir sur ses plateformes.



Vous êtes toujours Directrice d’Internet Sans Frontières ? Pouvez-vous nous parler de cette organisation et du rôle qui est le vôtre ? D'autre part, selon vous, quel est l'enjeu principal de

l'Internet pour le continent africain ?



J’officie toujours en tant que directrice exécutive de l’O.N.G Internet Sans Frontières. Nous y menons des campagnes de défense de la liberté d’expression sur les espaces connectés.

Nous publions également des rapports sur l’état des droits numériques, notamment, en Afrique. En ce qui concerne l’angle principal de l’Internet pour le continent africain, je dirais

qu’aujourd’hui l’enjeu principal c’est la liberté, l’accès étant de moins en moins un problème, il faut désormais défendre la liberté pour tous de s’exprimer librement sur Internet.

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