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Chaib Mohamed : « Dès son arrivée au pouvoir, le président Bazoum s’est démarqué de son prédécesseur, tant dans le style que sur le fond.

Déchu par sa garde présidentielle depuis le 26 juillet 2023 Mohamed Bazoum ex-président du Niger est toujours séquestré à Niamey en compagnie de son épouse. Dans un entretien exclusif accordé à Kidjidji Média, Chaib Mohamed neveu du président Bazoum nous parle sans ligne de fracture du putsch dont a été victime son oncle, de sa détention et du rôle qu’ a joué l’ancien président Mahamadou Issoufou considéré, comme le véritable « cerveau » du coup d’Etat qui a mis fin au règne de Bazoum.



Qui est Chaib Mohamed et quelle relation vous lie avec l’ex homme fort du Niger, le Président BAZOUM ?


Je m’appelle Chaib Mohamed, je suis le neveu du président Bazoum.


Kidjidji média : Le 26 juillet 2023 le président Bazoum qui est aussi votre oncle, a été renversé par sa garde présidentielle. À la tête de ce putsch se trouve un certain Abdourahamane Tiani, général de son état et commandant de cette unité d’élite ayant aboli le bref règne du président Bazoum. 48h plus tard, le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) voit le jour et proclame Tiani nouveau président du Niger. Qu’est-ce qui a pu provoquer cette bronca d’une partie de l’armée pourtant réputée fidèle au président Bazoum ?


Chaib Mohamed : Il n’y a pas de bronca de l’armée contre le président Bazoum, il y a une prise d’otage du couple présidentiel par le commandant de sa garde présidentielle (GP), celui-là même qui est censé assurer sa protection. Et pour cause, l’armée s’était mobilisée aux premières heures du coup d’état pour défaire le projet de Tiani. Elle s’était positionnée sur des points stratégiques comme la Télévision nationale ou l’aéroport et certains généraux ont pris langue avec Tiani pour trouver une solution à l’amiable à ce qui semblait être une révolution de palais. Jusqu’au 28 juillet, la Garde Nationale restée loyale au président Bazoum était prête à mener l’assaut afin de libérer le président. Mais l’état-major, devant le fait accompli, a fini par prendre acte du coup d’état pour éviter un bain de sang selon les termes de son communiqué.


Kidjidji Média : Plusieurs sources estiment que le véritable mobile du coup d’Etat vient du fait que le Général Tiani aujourd’hui chef de la junte devait être relevé de ses fonctions. Est-ce que cette version est plausible ? Et pourquoi ce général qui avait repoussé une première tentative de putsch visant à renverser juste après l’élection du président Bazoum le 31 mars

2021, s’en est pris après à lui , jusqu’à le déchoir du « trône ? »


Chaib Mohamed : Le président Bazoum avait envoyé à la retraite un bon nombre de généraux sexagénaires, dont Salifou Mody, actuel numéro deux de la junte. Il est possible que Tiani se soit senti aussi menacé mais la raison du coup d’état ne se situe pas à ce niveau. Il faut chercher la vraie raison chez le commanditaire, en la personne de l’ancien président Issoufou Mahamadou. Tiani n’en est que l’exécutant. Après avoir achevé ses deux mandats durant lesquels il était protégé par Tiani à la tête de la GP, Issoufou a cru qu’il allait continuer à diriger par procuration et que Bazoum ne serait qu’une marionnette qu’il tournera à sa guise. Il voulait continuer la gestion occulte des finances publiques qui a donné lieu à un chapelet de scandales financiers sous son règne. Il vous souviendra des affaires MDN, Uranium gate (qui a valu à Issoufou le célèbre sobriquet de T3), Wall gate, le prêt de deux milliards de dollars auprès d’Eximbank, l’avion présidentiel, Africard, etc. Dès son arrivée au pouvoir, le président Bazoum s’est démarqué de son prédécesseur, tant dans le style que sur le fond. Il a démystifié la fonction présidentielle, ouvert son bureau à tous les nigériens, décrispé le climat politique, rapproché les différentes communautés. Dès les premiers jours, il a emprisonné Ibou Karadjé, le responsable Transports de la présidence qui a mis en place un système mafieux ayant permis de siphonner huit milliards FCFA pour fiancer les déplacements du président.


Issoufou en 2020, alors que le monde était en proie à la pandémie de Covid- 19 et pratiquement aucun voyage n’avait eu lieu. Plus tard, un ministre en exercice devait aussi être arrêté, ce qui est une première au Niger. Plus de quarante cadres corrompus de l’administration ont été incarcérés et la majorité appartient au parti présidentiel. Le président Bazoum a pris le taureau par les cornes, il s’est attaqué à un système de corruption profondément ancré sans prendre trop de précaution. C’est ce qui lui a valu la trahison de ses proches qui ne se retrouvaient plus dans la transparence qu’il a voulu promouvoir.


Kidjidji Média : Outre les velléités de limogeage de Tiani évoquées par d’aucuns, le colonel major Amadou Abdramane membre du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie a justifié le coup d’Etat par cette phrase :« Cela fait suite à la dégradation continue de la situation sécuritaire, la mauvaise gouvernance économique et sociale.» Que répondez-vous au Colonel Abdramane ?


Chaib Mohamed : C’est une phrase toute faite et qui manque d’ailleurs d’originalité, que tous les putschistes prononcent pour justifier un coup d’état. La solution à la crise sécuritaire réside dans le dialogue et les perspectives de paix se dégagent dans les échanges lors des conseils de sécurité et des conseils de défense auxquels participent les plus hauts gradés de notre pays. Un coup d’état n’a jamais été porteur de solution pour quelque problème que ce soit. L’élite militaire est partie prenante et comptable des résultats, qu’ils soient bons ou mauvais. Et pour apprécier le bilan du président Bazoum dans le domaine de l’insécurité, je vous renvoie au discours de vœux de nouvel an prononcé en 2022 par le Général Salifou Mody alors Chef d’état-major et actuel numéro deux du CNSP. A moins de souffrir d’amnésie, une personne normalement constituée ne peut tenir des propos aussi contradictoires en si peu de temps.


Quant à la mauvaise gouvernance économique, il nous tarde de voir le premier scandale financier - parmi la myriade de malversations qui a éclaboussé le régime de Issoufou - qui sera traité. A contrario, l’une des mesures phares que le CNSP a prise est de soustraire toutes les dépenses militaires des règles de la comptabilité publique. Cette mesure a pour effet d’encourager la pratique des pots-de-vin, les surfacturations et les non livraisons des matériels, et ce dans l’opacité la plus totale.


A la lumière de ce qui précède, vous comprendrez que la bonne gouvernance économique et sécuritaire est le cadet des soucis de Tiani et de ses comparses.


Kidjidji Média : Cela bientôt un an que le président Bazoum et sa femme sont en résidence surveillée. Depuis, un des fils du président présent au moment du putsch a été libéré en janvier 2024 grâce à la médiation du président togolais. Pourquoi la junte au pouvoir s’obstine-elle à garder en « détention » le président Bazoum et sa femme ?


Chaib Mohamed : Ce n’est pas la junte mais l’ancien président Issoufou Mahamadou qui s’oppose farouchement à la libération du président Bazoum. Sans doute a-t-il peur qu’il parle et qu’il dise certaines vérités qui l’anéantiraient politiquement. Dans les autres pays, les présidents Rock, IBK, Condé et Bongo ont tous été libérés après le coup d’état. L’exception nigérienne prouve à suffisance qu’il ne s’agit pas d’un coup détat normal mais d’un énorme complot ourdi par une aile du PNDS pour destituer Bazoum et continuer à diriger sans lui. L’enjeu principal est la gestion du pétrole que le Niger s’apprête à exporter via le port de Cotonou et au sujet duquel Issoufou, dont le fils était ministre du pétrole, n’entend faire aucune concession pour sa gestion.


KIDJIDJI Média : Nous avions aussi appris que le président Bazoum refuse toujours de signer sa démission ? Croyez-vous qu’il y a encore un espoir de voir le président être rétabli dans ses droits quand on sait que moult tentatives notamment de la CEDEAO et l’Union Africaine ont échoué  et que son immunité vient d’être levé ?


Chaib Mohamed : Le président Bazoum est un otage de sa garde rapprochée. Nous continuons à exiger sa libération et sa restauration dans les fonctions dont le peuple souverain l’a investi. Son immunité a été levée dans des conditions scandaleuses. Il faut rappeler que cette Cour d’Etat aux ordres n’est qualifiée que pour lever l’immunité des anciens présidents, or Bazoum n’en est pas un car il refuse toujours de signer sa démission comme vous l’avez rappelé. Ensuite, quand bien même elle serait qualifiée, la moindre des choses aurait été de permettre aux avocats d’accéder au dossier et d’échanger avec leur client. Ce qui fut refusé. Dès lors, les conditions d’un procès équitable ne sont plus réunies. Tout cela procède en réalité d’une manœuvre de Issoufou de déchoir Bazoum de ses droits politiques afin de permettre son retour au-devant de la scène. Issoufou se sert de tous les appareils de l’Etat pour parvenir à ses fins personnelles.


Kidjidji Média : En levant l’immunité du président Bazoum dont la junte l’accuse de « haute trahison, d’apologie de terrorisme, complot d’attentat » et j’en passe, on a l’impression que l’avenir n’augure rien de bon pour le président, que pensez-vous de la suite des événements ?


Chaib Mohamed : Quand on analyse de près le déroulement des événements, on remarque que le coup d’état n’était pas le seul objectif. Il y a un objectif caché qu’on cherche à mettre en œuvre mais qui est en réalité un secret de polichinelle. Il y a une véritable chasse à l’homme sur le président Bazoum et ses proches collaborateurs. Certains sont détenus, d’autres poussés à l’exil, et les rares qui sont en liberté sont menacés et astreints à se tenir à carreau. Nous sommes profondément préoccupés par l’évolution de la situation et nous appelons les dirigeants de la CEDEAO, de l’Union Africaine et les Organismes Internationaux à tout mettre en œuvre afin de faire libérer le président Bazoum, son épouse et tous les détenus politiques.


Kidjidji Média : Le 16 septembre 2023, le Niger votre pays, le Burkina-Faso et le Mali créent l’AES (l’Alliance des États du Sahel) une coalition dont le but est de mutualiser leurs forces en vue de faire face aux attaques djihadistes dans la région. Que pensez-vous cette initiative de ces 3 pays tous dirigés par des militaires putschistes ? Pensez-vous que cette alliance pourra juguler voir anéantir la vague djihadiste qui menace l’existence même du Sahel ?


Chaib Mohamed : Des organisations comme le G5 Sahel existaient déjà pour lutter contre le terrorisme, pourquoi en créer d’autres ? En réalité, le but subliminal de cette Alliance n’est pas de lutter contre le terrorisme mais plutôt de s’affranchir de la pression de la CEDEAO qui impose aux putschistes, en vertu du protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance, la mise en place de calendriers de transition qui doivent déboucher sur l’organisation d’élections pour permettre aux peuples de choisir librement leurs dirigeants. Dans un lyrisme populiste sans précédent, les putschistes de l’AES désignent des ennemis et des boucs émissaires et les vouent à la vindicte populaire. Les pays de la CEDEAO et leurs partenaires occidentaux sont chargés de tous les péchés d’Israël alors que leur seul tort est de vouloir être regardant sur le respect des droits humains et la restauration de la démocratie. La Russie qui ne va point leur imposer des exigences démocratiques est paradoxalement l’amie qui veut du bien au Sahel. Le rêve des militaires est de faire comme Poutine : s’éterniser au pouvoir.


Kidjidji Média : Hinda Bzoum dans une interview accordée à Radio France Internationale, accuse l’ex-président Mahamadou Issoufou d’être le principal instigateur du putsch qui a mis fin au règne de son père. Soutenez-vous cette thèse ? On sait que Bazoum et Isoufou étaient plus que des amis, on sait également qu’ils ont milité ensemble pour l’avènement de la démocratie au Niger. Qu’est-ce qui a pu provoquer ce schisme si brutal qui nous rappelle un peu la tragédie sinon la triste histoire entre Sankara et Compaoré ?


Chaib Mohamed : Vous avez dit que Bazoum et Issoufou étaient plus que des amis, donc quel serait l’intérêt de Hinda d’accuser l’ami de son père s’il n’était pas coupable ou si elle n’en avait pas les preuves ? Si un coup d’état devait viser Bazoum, Issoufou devrait être la première victime car il est comptable de 10 années de gestion sur les 12 du PNDS. La seule fois qu’il a daigné condamner le coup d’état, c’était la semaine dernière quand la Fondation Mo Ibrahim l’a menacé de lui retirer sa médaille et les avantages pécuniaires qui vont avec. A l’heure où je vous parle, il est protégé par 120 éléments de la GP de Tiani alors que tous les autres caciques du parti sont soit emprisonnés soit en exil. Aux ambassadeurs de l’Union Européenne qui lui ont demandé de négocier Tiani pour rétablir Bazoum, Issoufou a répondu qu’il est préférable d’aller vers une courte transition. Les opérateurs économiques proches de Issoufou ont financé les manifestations de soutien au CNSP. Il a manœuvré pour récupérer le contrôle du PNDS et faire une déclaration de soutien au CNSP, mais les cadres du parti s’y sont opposés. Vous ne trouvez pas tout cela étrange ? Hélas les histoires de trahison en politique sont vieilles comme le monde, Sankara est devenu une icône intemporelle et Compaoré vit dans l’oubli et l’indifférence loin de son pays.


Kidjidji Média : Les nouvelles autorités ont exigé le départ des forces françaises tout au début de la prise du pouvoir, elles ont récemment exigé le départ des soldats américains de la base 201 située à Agadez. Depuis quelques jours, les mêmes autorités ont retiré le permis d’exploitation à Orano ex société Areva qui a commencé à exploiter la mine d’Imourarem qui un des plus grands gisements d’uranium au monde avec des réserves abracadabresques. Que vous suscite ces mesures assez fortes des nouvelles autorités ?


Chaib Mohamed : Pour punir la France qui a catégoriquement refusé de soutenir le putsch, Tiani et Issoufou ont sorti de leur chapeau l’idée de contester la présence des bases militaires, qu’ils ont eux-mêmes accueilli sur notre territoire, afin de s’assurer le soutien des militants de Hama Amadou et s’octroyer un semblant de légitimité populaire. Ils ont inventé un narratif souverainiste qui aurait été une quête noble si le mot n’était pas galvaudé. En lieu et place des occidentaux, la junte a déroulé le tapis rouge aux mercenaires russes et turcs pour assurer leur protection. Pour Tiani et ses comparses, l’impérialisme est forcément occidental, il ne peut être russe, chinois ou turc. C’est d’ailleurs l’occasion de demander à Tiani ce que faisaient les deux russes récemment enlevés par le JNIM dans la zone aurifère de Tera ?


Kidjidji Médias : Pensez-vous qu’il y a un sentiment anti-français, bref anti-occident de la part des nouvelles autorités de Niamey ?


Chaib Mohamed : Il y a un sentiment anti-français opportuniste de la part de la junte qui s’explique par le refus de la France d’avaliser le putsch. Tiani a dû se convertir au souverainisme et au panafricanisme, lui qui jusqu’au 26 juillet 2023 ignorait jusqu’à l’existence de ces deux mots.


Kidjidji Média : Cette fermeté du général Tiani et des siens, vis-à-vis des alliés traditionnels du Niger semble recevoir un écho favorable au sein de la population et plus particulièrement de la jeunesse nigérienne. Selon vous, pourquoi la jeunesse du moins une grande partie de celle-ci semble adhérer au discours de la junte qui a amorcé une véritable rupture ?


Chaib Mohamed : La question de la présence des forces occidentales sur notre territoire a été instrumentalisée par certaines officines à la solde d’intérêts russes qui prétendent que les militaires occidentaux sont au Niger pour piller nos ressources naturelles. Cette campagne de désinformation et de manipulation vise particulièrement les jeunes de Niamey hyperconnectés aux réseaux sociaux. Ils représentent une frange très marginale de la

population nigérienne qui a des besoins plus concrets comme la sécurité, l’accès à l’eau potable ou à la santé.


Kidjidji Média : Le putsch du 26 juillet 2023 a jeté plusieurs soutien du président Bazoum sur les routes de l’exil y compris vous, espérez-vous une amnistie générale qui verra le retour de vos sympathisants ?


Chaib Mohamed : Les gens ont été coupés de leurs familles juste en raison de leur proximité du président Bazoum. Nous pensons qu’il y a un temps pour tout et que le moment est venu de se réconcilier afin de détendre le climat politique et social pour le bien-être de nos concitoyens.


Kidjidji Média : Avez-vous un message à l’endroit des nouvelles autorités du pays ?


Chaib Mohamed : J’appelle la junte militaire à protéger les droits du président Bazoum et de cesser cette séquestration. J’appelle également à la libération de tous les autres détenus politiques et le retour des exilés.




Josué TAO-TAO, KIDJIDJDI MEDIA

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