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Blaise Ndala : " Les initiatives internationales pour ramener la paix au Congo ne sont que de la poudre aux yeux "

Dernière mise à jour : 14 juin


INTERVIEW

GABRIEL MBARGA, KIDJIDJDI MEDIA



1/Blaise Ndala, bonjour… Vous êtes écrivain, juriste dans votre activité quotidienne, vous êtes né au Congo il y a 52 ans, vous apparaissez comme l’un des écrivains majeurs de la nouvelle littérature africaine...Nous souhaitons aujourd’hui par de l’homme ! Vous quittez le Congo à l’âge de 30 ans, d’abord pour la Belgique, avant de vous établir au Canada où vous vivez aujourd’hui : quelle enfance avez-vous vécue au Congo, comment était ce pays alors sous l’ère du Président Mobutu ?


Je nais à Lusanga, autrefois Leverville, ville emblématique de la multinationale Unilever dont mon grand-père paternel fut salarié pendant de longues années. Je commence ma scolarité à Kinshasa, chez les Frères Joséphites de Kinzambi, à une période où mes parents enseignent tous les deux dans le réseau des écoles catholiques. Ensuite, au gré des mutations, ma famille s’installe dans plusieurs missions catholiques et villes de la province du Bandundu, d’où ils sont natifs. Je fais ainsi mes études primaires à Yasa-Bonga, puis le secondaire dans la ville de Kikwit, toujours chez les Frères Joséphites, jusqu’au début des années 90 qui coïncide avec la fin du parti unique instauré par Mobutu au milieu des années 1960. Je me dirige ensuite vers la faculté de droit de l’Université de Kinshasa.


Aîné d’une famille de quatre enfants, j’ai vécu une enfance heureuse, assez ordinaire. Au Zaïre, nous appartenions, pour ainsi dire, à la classe moyenne supérieure de cette période d’avant le délitement social de la fin des années 80, qui a précipité la fin du mobutisme. C’est dire que si nous ne faisions pas partie de l’élite locale, il y avait autour de la profession d’enseignant un prestige dont étaient auréolés mes parents, et qui insufflait aux enfants que nous étions, une sorte d’obligation de réussite scolaire. C’était là, estimaient mon père et ma mère, le gage moyennant lequel nous pourrions devenir à notre tour des transfuges de classes, puisqu’il apparaissait, année après année, que la classe moyenne à laquelle appartenaient les enseignants du Zaïre était vouée à disparaître. Le pays se divisait, en effet, en deux blocs qui allaient s’avérer irréconciliables : d’un côté, les très riches, les élites politiques et économiques fabriquées par le régime Mobutu ; de l’autre, le commun des Zaïrois condamnés à la paupérisation.


Je dirais donc que j’ai appris tôt que seule l’école allait être le talisman qui me maintiendrait, peut-être, du bon côté de la barrière. Je m’y suis donc jeté à corps perdu et cela ne fut pas que pour le meilleur, car j’ai grandi avec l’idée qu’il n’y avait point de salut en dehors de la réussite scolaire, ce qui est, quand on y pense, tout sauf une vérité absolue.


Une dernière chose sur ce qu’était le Zaïre de mon enfance, il me semble qu’il faille préciser qu’il y a eu deux Zaire : celui d’avant 1973 et celui d’après. Même si je n’ai pas connu le premier, je sais que le pays a commencé sa lente descente aux enfers avec les mesures dites de " Zaïrianisation " lancées par Mobutu en novembre 1973 et qui consistaient, grosso modo, à exproprier les étrangers, Blancs pour la plupart, pour confier leur biens fonciers, immobiliers et autres avoirs commerciaux, à une poignée de nationaux choisis parmi les obligés du Président-fondateur. Ce fut là l’acte fondateur d’une débâcle économique au long cours.


Vous comprendrez que mon enfance a eu pour théâtre le Zaïre de la post-zaïrianisation. Entre la fin de l’école primaire et la sortie du secondaire, j’ai eu le temps de mesurer comment, par la volonté d’un homme, et par l’incurie d’une frange qui lui devait tout, le pays le plus riche d’Afrique est tombé de Charybde en Scylla, sur fond d’une crise morale dont il n’est pas encore sorti à ce jour. Parmi le peu de choses positives qu’il en reste, cependant, je me dois de souligner un fort sentiment de vouloir vivre ensemble, forgé par l’ancien dictateur. Un socle identitaire sans lequel la balkanisation prophétisée tant de fois à l’égard du Congo de Lumumba se serait réalisée depuis bien longtemps.



2/Vous appelez votre père « Le Passeur » : est-ce lui qui vous a donné le goût des Lettres, et d’où tenez-vous cet ancrage profond dans la tradition congolaise (Kuba, principalement), et, au-delà, transafricaine ?


Mon père est, en effet, ce passeur de qui je tiens un goût précoce pour le livre. Cela renvoie à cette période que je situe entre mes six et mes douze ans, lors qu’il me proposait différents genres, de la bande dessinée au conte en passant par le roman jeunesse, et qu’au terme de ma lecture, il engageait un dialogue autour de ce que j’en avais retenu. Il arrivait aussi, comme lui-même me l’a rappelé lors d’un séjour au Congo après la sortie de mon premier roman, qu’il me défie sur le mode de la complicité ainsi créée. Pour le simple plaisir de l’exercice, il me demandait de lui raconter la suite imaginée d’une fiction dont je venais à peine de commencer la lecture.


Mais votre question me permet en même temps de relever une injustice que j’essaie désormais de corriger. Mon père a, certes, été celui qui a le plus influencé le lecteur qui allait accoucher de l’auteur, puis de l’écrivain que j’allais devenir, mais le rôle joué par ma mère n’est pas des moindres. Je me souviens, entre autres, de ces moments où je lui donnais la réplique pendant qu’elle mémorisait ses textes pour le théâtre. C’était du temps où elle jouait au sein de la troupe des enseignants de son établissement à la mission catholique Yasa, une troupe qui s’appelait Les Perles Noires, grâce à laquelle j’ai découvert les œuvres de Guillaume Oyônô Mbia le Camerounais ou d’Emmanuel Roblès le Français, pour ne citer qu’eux.


Pour ce qui est de l’ancrage dans la tradition, je devrais préciser qu’à cette même période, avant et pendant l’adolescence, je passe beaucoup de temps avec mes grands-parents maternels, notamment ma grand-mère qui est alors une potière de belle renommée dans la région où elle vit. Elle est également une grande conteuse qui me nourrit de son art lorsque je vais la voir pendant mes vacances scolaires. C’est elle qui lance ce que j’ai rebaptisé par la suite « le programme argile contre conte », puisqu’en échange d’une quantité de ce matériau dont elle a besoin pour son travail de travail en poterie, elle nous gratifie de contes et autres récits nocturnes, à mes cousins et à moi. Grand-mère Mbuku est petite-fille d’un grand chef Mbala, comme l’atteste le nom de Koy, qui signifie « léopard », que portent tous les hommes de sa famille. Son mari et elle vont certainement contribuer à ma connaissance des traditions puisées dans notre patrimoine ethno-culturel.


Cela étant dit, ma connaissance de ce qui touche au Royaume Kuba est bien tardive et me vient d’ailleurs : je la dois essentiellement à mes lectures relativement récentes des anthropologues européens comme Leo Frobenius l’Allemand ou Jan Vansina le Belge, mais aussi des historiens congolais comme Ndaywel è Nziem ou Elikya Mbokolo, qui sont de grandes références qu’on ne présente plus. Pareil pour d’autres entités du pouvoir traditionnel pré-conolnial, à l’image du Royaume Kongo dont mes ancêtres sont issus, du Royaume Luba ou plus récemment, de l’Empire Lunda, au sujet duquel je me documente autant que possible depuis quatre ans, dans le cadre des recherches dictées par mon prochain roman. Enfin, ma connaissance de l’histoire transafricaine ancienne, procède du même souci de compenser une connaissance scolaire insuffisante de la part du juriste que je suis, par un effort continu d’élargir mes horizons au-delà des frontières de l’espace ethno-culturel de ce qui fut nommé autrefois Etat indépendant du Congo.


3/ Vous avez été scolarisé dans des établissements confessionnels catholiques. Vous dites même avoir été tenté par une carrière de prêtre. Que vous reste-t-il de cette formation et comment faites-vous coexister cela avec votre africanité visiblement très assise ?


Vous en ramenez, des souvenirs ! J’ai, en effet, pendant la période de ma scolarisation chez les Frères Joséphites, cru que j’étais habité par ce que l’on appelle dans le jargon ecclésiastique « la vocation », autrement dit, le fameux appel du Saint-Esprit. Mais cela ne dura pas longtemps et je bifurquai vers le laïcat où m’attendait manifestement mon destin.


Ce qu’il reste des trois années scolaires passées dans le couvent de la ville de Kikwit où j’avais été admis comme « Aspirant », puis « Postulant », c’est probablement une certaine exigence intellectuelle qui incite à s’inscrire dans une sorte de quête de l’excellence. J’ajouterais à cela une certaine idée de l’éthique qui devrait servir de socle à tout engagement social dans la cité. Enfin, peut-être le courage de ses convictions les plus profondes, sur le modèle de Pierre Teilhard de Chardin, qui, à rebours du dogme créationniste de l’Église catholique de Rome, osa envisager la sélection darwinienne non comme une punition infligée à l’homme, mais comme partie intégrante de ce qu'il supposait être le plan divin. Cela vaudra à ce grand érudit les foudres du Vatican, mais ceux qui ont lu son essai Christologie et évolution publié en 1932, savent que le prélat est resté fidèle à ses idées jusqu’à la fin de ses jours. Je pense que ce sont là des choses qui trouvent en partie, à tout le moins, leur terreau dans cette période qui fut celle de ma « divine et éphémère tentation ».



4/Vous êtes juriste et travaillez à des niveaux de responsabilité importants pour l’État Fédéral canadien : est-ce toujours le missionnaire venu du Congo qui est à l’oeuvre ici, et que vous apporte cette activité dans votre imaginaire d’écrivain ?


Missionnaire, je ne sais pas si je reprendrais ce mot. Mais si vous lui donnez pour contenu le fait que mon travail comme fonctionnaire soit doublé d’une contribution de type humaniste à l’action gouvernementale de l’État du Canada auprès d’une partie de ses citoyens, alors il y aurait peut-être un peu de cela dans les responsabilités qui sont miennes. Pour vos lecteurs qui ne le sauraient pas, depuis huit ans, j’ai été d’abord Enquêteur principal, puis Directeur adjoint aux enquêtes au sein de l’organe fédéral qui officie à titre d’ombudsman en faveur des prisonniers sous garde fédérale. Son équivalent en France serait le Contrôleur Général des Lieux de Privation des Libertés.


Concrètement, mon travail, comme celui de mes collègues, est de veiller à ce que les droits fondamentaux des prisonniers soient respectés et que leurs conditions de détention demeurent en phase avec la dignité humaine telle que protégée par la Charte canadienne des droits et libertés, ainsi que les conventions internationales ratifiées par le Canada. Il est probablement là, le côté « missionnaire » que vous évoquez, si l’on tient compte du fait que mon engagement pour les droits humains est né au Congo, par le biais du théâtre scolaire d’abord, plus exactement au détour d’une production sur la condition des Noirs d’Afrique du Sud sous l’apartheid, avant mon admission au barreau de Kinshasa, et plus tard, mon mandat comme Représentant en Haïti d’Avocats Sans Frontières Canada, voilà quelques années déjà.


Comment l’imaginaire de l’écrivain en est-il affecté, me demandez-vous. Ce serait un truisme que de dire que la prison est le microcosme de la société qui en révèle le mieux les paradoxes, les tensions, voire les impasses collectives. Dostoïevski disait : « Nous ne pouvons juger un peuple, son degré de civilisation, qu’en visitant ses prisons ». L’écrivain derrière le juriste en moi, sans aller jusqu’à juger le peuple dont je fais désormais partie, ne recueille pas moins, par cette longue immersion dans les prisons du Canada, une connaissance étendue et étoffée de la condition humaine en général. Et quand on sait que l’une des particularités des prisons canadiennes est d’abriter près de la moitié des détenus Amérindiens alors que ce groupe constitue à peine 5% de la population du pays, on devine que le romancier passionné d’histoire et de la question des mémoires coloniales est servie au-delà de ce qu’il aurait pu imaginer en arrivant dans ce pays il y a dix-sept ans. Mais si mon imaginaire est autant nourri par ce travail, pour l’instant, j’ai fait le choix de ne rien laisser transparaître dans ma création littéraire. Ce temps viendra.





5/La littérature négro-africaine a connu des courants successifs depuis les mouvements d’affirmation nés aux Etats-Unis, puis ceux de la Négritude et de la lutte pour les indépendances : d’abord, qui de vos devanciers a eu une influence significative sur votre œuvre, ensuite, comment peut-on la qualifier aujourd’hui et quelles sont les principales figures qui l’incarnent, à votre avis ?


Tous les devanciers de ces différents courants, que je les aie lus ou pas, ont eu une influence significative sur mon travail.  Le simple fait qu’ils aient écrit sur la condition noire ou en ayant conscience de cette condition, laquelle, historiquement, n’est pas une condition « neutre », encore moins une condition exempte d’a priori, est en soi suffisant pour que leur présence en littérature me parle.


Cela étant précisé, il y a pour moi quelques auteurs phares, qui ont agi au fil du temps comme autant de figures tutélaires littéraires. Je ne les nommerais pas tous, mais parmi ceux qui occupent le premier rang il y a Aimé Césaire, Maryse Condé, Chinua Achebe, James Baldwin, Toni Morrison, V. Y. Mudimbe et Sony Labou Tansi. Je pense que ceux qui les ont lus et qui me lisent comprendront qu’il y a, à de degrés divers, un peu des uns et des autres dans ce que j’essaie de construire depuis mon premier livre. D’ailleurs tous, à l’exception de Mudimbe, sont nommément présents dans les romans que j’ai publiés, l’auteur de The Invention of Africa dans celui à venir.


Je laisserai les académiques à leur travail de classification, pour ce qui est des courants actuels. Ce que je constate, comme lecteur intéressé, c’est qu’à partir des années 90, la littérature africaine d'expression française, pour me cantonner à elle, s’est beaucoup diversifiée tant sur le plan thématique que sur celui de l’esthétique.


J’ai constaté, comme d’autres, qu’un nombre toujours croissant d’auteurs ont pris sur eux de s’éloigner d’une écriture qui fut longtemps qualifiée tantôt d’identitaire, tantôt de revendicative, pour opter pour une littérature qui serait appréciée uniquement à l’aune de ses qualités intrinsèques. Cette orientation a surtout été observée chez des écrivains nés ou immigrés vers l’Europe, que d’aucuns qualifient d’Afropéens – terme que je trouve assez restrictif, mais c’est un autre débat.


Aujourd’hui, je dirais que nous assistons à une hybridation à grande échelle où l’ensemble des thématiques qui avaient autrefois nourri les courants que nous avons connus, se retrouve dans une grande variété. Ainsi, la question coloniale abordée dans un roman comme Les maquisards d’Hemley Boum où sont redéployées les douleurs de l’enfantement du Cameroun libre, est un livre salué avec ferveur en ce début du XXe siècle. Ferveur également pour Un océan, deux mers, trois continents, de Wilfried N’Sondé convoquant la traite négrière dans le Royaume Kongo du début du 17e siècle. La dénonciation des travers des régimes totalitaires n’est pas évacuée, comme nous l’a rappelé récemment le Prix Voix d’Afrique décerné à Fann Attiki pour son roman Cave 75. Ce ne sont là que des exemples parmi tant d’autres. Je dirais donc large hybridation, grande liberté créatrice où les écritures d’hier continuent de « contaminer » positivement les nouvelles, tandis que les expériences contemporaines, qu’elles touchent à la réalité diasporique ou aux préoccupations écologiques, laissent aux écrivains toute la latitude d’élargir leurs horizons au gré de leur propre sensibilité et leur écoute du monde.




6/Êtes-vous un écrivain engagé et pour quel public écrivez-vous ?


Tout d’abord, je ne pense pas qu’il appartienne à un écrivain de décréter son engagement. Suffit-il de le clamer, de le revendiquer ? Alors que la Négritude faisait florès, Wole Soyinka nous prévenait de la banalité de proclamer sa propre « tigritude ». Comme écrivain, j’écris. Les lecteurs, les critiques, dissèquent ce qui est proposé et disent si, en fondant leur jugement sur ce qu’ils entendent par « écrivain engagé », j’en suis un.


Ensuite, parce que d’aucuns n’ont de cessent de convoquer la notion de l’engagement à hue et à dia, je me vois davantage comme un écrivain de sensibilité politique qu’autre chose. Je n’entends certes pas m’enfermer dans un corset qui délimiterait à tout jamais le champ de ma création, ça serait pécher contre la liberté créatrice que j’évoquais tantôt. Ça serait se perdre dans l’appréciation d’un juge appelé lui-même à renouveler sans cesse son regard sur ce qu’est la singularité d’une œuvre littéraire. Reste que les thèmes que j’embrasse, de même que le modeste écho qu’ils ont pu avoir jusqu’ici dans le débat public, attestent, ai-je la faiblesse de penser, du caractère politique de ma production fictionnelle.


Quant au public pour qui j’écris, je ne serai pas très original pour le coup, mais dans l’absolu j’écris pour quiconque voudra me lire ou aura quelque sensibilité avec les sujets que j’aborde, les univers que je convoque, les mémoires que je revisite. Je dirais ensuite, qu’à un niveau plus intime, lorsque je commence un projet d’écriture, me vient à l’esprit le tandem constitué par les Africains, d’un côté, et par ceux que nous appelons prosaïquement les Occidentaux, de l’autre. Ce, pour la simple raison que je suis, que je le veuille ou non, le produit de ces deux mondes que l’Histoire a fait se rencontrer dans une certaine disharmonie. C’est la première raison. L’autre raison est que les thèmes que j’aborde concernent au premier chef ces deux blocs, si je puis le dire ainsi. Enfin, à bientôt 52 ans, force est de constater que j’ai passé un peu plus de la moitié de ma vie en Afrique, un peu moins que l’autre moitié en Occident où, par ailleurs, mes livres sont édités en premier, tandis que je m’inscris de plus en plus dans une démarche visant à réserver mes droits éditoriaux pour l’Afrique.


7/L’amour du Congo, et par-delà, de votre continent d’origine transparaît dans votre magnifique livre « Dans le ventre du Congo »...vous vous autorisez même de transcrire en préambule une histoire libre et saisissante du Congo depuis le partage de Berlin jusqu’à la chute de Mobutu : quel est votre regard sur l’état actuel de votre pays d’origine et quels sont les maux profonds qui minent ce pays et qu’il doit d’abord régler avec lui-même (ce qui semble être un de vos angles de vue) ?


Mon regard est teinté de tristesse et d’un optimisme en berne, car bientôt trente ans après la chute de Mobutu, l’ex-Zaïre est incapable de décoller en dépit du potentiel énorme qui est le sien et malgré sa vocation d’être l’un des moteurs de la croissance du continent pour le bien-être de ses filles et fils.


Les maux sont nombreux, mais le principal, qui, à mon avis, cristallise tous les autres, se nomme l’incurie des élites politiques qui ont démontré à maints égards leur incapacité chronique à placer le bien-être de leurs compatriotes au-dessus de leur propre sécurité financière et matérielle. Tant que les Congolais n’auront pas réussi à faire comprendre à leurs dirigeants que ceux-ci sont leurs obligés et non l’inverse, ils demeureront cette grosse anomalie au cœur du continent africain : un pays immensément riche habité par un peuple démuni.


8/ En conclusion, j’aimerais interroger l’avocat et spécialiste de Droit international : qu’en est-il de l’approche des différentes initiatives internationales de paix au Congo et quel message, au regard de la situation des Droits de l’Homme dans votre pays ?


L’expérience a démontré que les initiatives internationales pour ramener la paix au Congo ne sont que de la poudre aux yeux dont les Congolais auraient dû tirer les leçons depuis longtemps. Il y a tant d’hypocrisie au plan multilatéral, dans toutes ces instances qui font semblant de dénoncer l’agression dont le pays est l’objet depuis plus de vingt-cinq ans, mais qui abritent en leur sein les mêmes puissances qui alimentent la guerre. Elles le font en maintenant une aide militaire et financière au Rwanda, un État qu’elles ont pourtant désigné comme principal responsable de l’instabilité dans l’Est du Congo. Une aide sans laquelle ce micro-État ne pourrait poursuivre son aventure macabre chez son voisin. Elles le font en fermant les yeux sur le pillage des ressources minières du Congo, dont profitent leurs multinationales, identifiées dans de nombreux rapports de l’ONU et des ONGs restés lettre morte.


Si l’Afrique et le monde se préoccupaient réellement du Congo, il y a longtemps qu’un tribunal pénal international pour le Congo, tant réclamé par la société civile et notamment par le Prix Nobel de la paix Denis Mukwege, aurait vu le jour. Il y a longtemps que l’ONU aurait pris les mesures à l’encontre des personnes physiques et morales citées par les rapports commandés par elle-même. Je reste donc persuadé que la solution du drame congolais ne viendra que du sursaut des Congolais eux-mêmes, et donc, essentiellement, d’un leadership vertueux qui remette sur pieds l’État congolais. Un leadership qui donne à l’État ainsi revivifié les moyens de mettre fin à la guerre et à l’insécurité devenues chroniques. Un leadership qui soit à même de mettre en branle un système judiciaire qui dit le droit et fait cesser le règne de l’impunité qui paralyse le pays. Enfin, un leadership qui place le mérite, rien que le mérite, au centre de la gestion de la chose publique. Il est là, le chantier. Aux Congolais de susciter en leur sein celui ou celle qui s’y collera.

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