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Bassirou Diomaye Faye : le poly-président

Dernière mise à jour : 2 mai


SEM Bassirou Diomaye Faye, Pdt de la République du Sénégal © Présidence Rep. Sénégal

Jeudi, 28 mars 2024. Dans la berline d’un noir brillant qui le conduit au Palais de la République, Bassirou Diomaye Faye promène son regard entre les motards, qui ouvrent la voie à son cortège, la rue où quelques passants leur adressent des gestes de la main, et son camarade et mentor, Ousmane Sonko, assis à côté de lui sur la banquette arrière. A deux, ils s’en vont répondre à l’invitation du locataire actuel de la présidence, Macky Sall, qui a déjà commencé à faire ses valises. Il devra quitter les lieux avant la cérémonie d’investiture du président élu, qui aura lieu le 02 avril, mais avant, il doit faire une visite guidée à celui que le peuple a choisi pour lui succéder.



Malgré la sérénité qu’il affiche, Bassirou Diomaye Faye peine encore à réaliser l’immense changement que le destin vient, en si peu de temps, d’opérer dans sa vie : passer du statut de détenu sous haute surveillance dans les geôles de la maison d’arrêt du Cap Manuel à celui de Président de la République sénégalaise, et ce, malgré la terrible adversité auquel leur hôte du jour les a soumis de longs mois durant.


Pourtant, la croyance en un destin tracé pour chaque Homme fait partie des valeurs dans lesquelles a été élevé ce fervent musulman, né en 1980 à Ndiaganiao, dans la région de Thiès dans le centre-ouest du Sénégal. Profondément ancré dans les cultures, les cultes et les enseignements de son terroir, Bassirou Diomaye Faye a toujours eu à cœur de rester proche de la terre et des masses laborieuses. Dans son village natal, ses proches le décrivent comme un homme affable, travailleur et dévoué aux causes justes. On dit de lui qu’il maitrise l’art du labour et n’hésite pas À jouer les bergers lorsque la situation l’exige, conduisant les troupeaux au pâturage. Les anciens ne tarissent pas d’éloges sur l’enfant du pays, parti de rien mais qui a réussi à se hisser sur la plus haute marche de l’État. Certains, comme son père Samba Faye ou son oncle Diomaye Faye – dont il porte le nom – ne cachent pas leur inquiétude à quelques jours du changement radical dans la vie de celui qu’ils ont vu grandir. « Je souhaite qu’il reste le même homme, répète ce dernier, avec les valeurs que nous lui avons transmises. S’il réussit à faire cela, alors il sera à la hauteur de la confiance que les sénégalais lui ont accordée ». La messe est dite.


Sur le plan professionnel, le nouveau locataire du Palais de la République est inspecteur des finances, formé à l’ENA de Dakar. Il a fait ses armes aux côtés de son frère et ami Ousmane Sonko. Et tout comme ce dernier, il est loué par ses partisans pour sa probité morale et la transparence, qui ont de tout temps caractérisé son rapport au patrimoine commun. C’est d’ailleurs la lutte implacable qu’ils ont menée, ensemble, contre la corruption et les détournements des deniers publics qui leur a valu la cabale qui a conduit à leur radiation de la fonction publique et à la longue persécution politique dont ils ont fait l’objet.




Un homme loyal

Dans le monde francophone, l’élection présidentielle se résume généralement à cette phrase du Général De gaulle : « la rencontre entre un homme et le peuple ». Mais par la magie de sa grande vitalité, la démocratie sénégalaise vient de reformuler ce mythe gaullien pour le mettre à la sauce locale, faisant de ce grand rendez-vous électoral une rencontre inédite entre DEUX hommes et le peuple. Du JAMAIS-VU ! Et dans un sursaut d’orgueil, porté par une profonde aspiration au changement, ce peuple a fait SIENNE cette idée, en plébiscitant un homme qu’il ne connaissait presque pas avant ce scrutin décisif.


En effet, Sonko était la figure emblématique de l’opposition, celui que tout le monde voyait comme le challenger de Macky Sall. Mais en stratège et planificateur hors-pair, il a rapidement anticipé le scénario de sa disqualification par le pouvoir en place. Il a ainsi eu l’ingénieuse idée de désigner son ami Bassirou Diomaye Faye pour lui succéder, se posant en leader humaniste, altruiste, novateur et visionnaire, PROMPT à placer les intérêts du Sénégal au-dessus de ses ambitions personnelles.

Cette posture a assurément augmenté son capital sympathie auprès des électeurs, lesquels ont, à maintes reprises, pu mesurer à quel point les deux hommes s’estimaient mutuellement. D’ailleurs, pour marquer cette estime du sceau de l’éternité, Diomaye a donné à son enfant le nom d’Ousmane Sonko, un clin d’œil authentiquement africain qui n’est pas passé inaperçu. « Bassirou, c’est moi » a inlassablement répété le chef du PASTEF aux Sénégalais pendant toute la campagne. Une stratégie qui a fonctionné bien au-delà de ce qu’on était en droit d’espérer. C’est donc la profonde loyauté de Diomaye envers son mentor politique et son attachement viscéral aux idéaux qu’ils ont défenduS ensemble pendant une décennie que les électeurs ont voulu récompenser.


Macky Sall, Président sortant accompagné de Diomaye Faye & Ousmane Sonko ©Présidence Rep. Sénégal


La crainte d’un schisme au sommet de l’État


On pourrait encore longuement s’épancher sur l’idylle à l’eau de rose que le Sénégal vient de servir à l’Afrique, qui nous arrive tel un rayon de soleil dans un Sahel agité par les remous politiques et diverses intrigues de palais. Mais entre-temps, l’investiture est passée par là ; le nouveau président a prêté serment et les tractations pour la formation de son premier gouvernement sont en cours.

L’état de grâce va très vite s’estomper et, BDF le sait, les Sénégalais l’attendent sur plusieurs questions épineuses, les unes plus urgentes que les autres : la cherté de la vie, le manque d’opportunités économiques pour la jeunesse ou encore la persistance de la crise en Casamance. À cela, il faut ajouter les nouvelles préoccupations en vogue sur le continent, que sont la question du Franc CFA, la souveraineté politique, avec le désir de la jeunesse de nouer de nouvelles alliances géostratégiques avec les pays du sud global etc.



Bassirou Diomaye Faye va donc très rapidement se départir de son image de gendre idéal, endosser le costume de chef de l’exécutif et gouverner. Mais comment pourra-t-il le faire alors que le projet sur la base duquel il a été élu est celui d’un autre ? Comment pourra-t-il s’affranchir de l’ombre de son mentor ? Quelle place accordera-t-il à ce dernier dans l’appareil de gestion de l’État ? Ce sont les questions qui taraudent les Sénégalais et auxquelles il faudra bien répondre, sachant que la question sous-jacente est celle de savoir si ce schéma de gouvernance inhabituel ne risque pas de devenir un serpent à deux têtes. 


Bien conscient de cette difficulté fondamentale, Ousmane Sonko se retrouve obligé de jouer l’équilibriste. En tant que faiseur de roi et principal artisan de cette victoire écrasante du PASTEF, il doit trouver un positionnement équidistant, qui puisse à la fois lui permettre de jouer un rôle de premier plan dans un appareil politique en (re)composition, tout en laissant le nouveau président s’installer dans son fauteuil et incarner l’autorité.


Nommé premier ministre le jour de l’investiture, il a rapidement décliné sa vision et annoncé qu’il gardera sa ligne initiale, celle d’œuvrer à réaliser le programme souverainiste sur la base duquel ils ont été élus. C’est assurément la meilleure façon de réussir le changement systémique et la rupture promise par les deux OVNIS politiques pendant la campagne électorale.

Quels rapports avec l’AES, l’Afrique et l’Occident ?


Si les grandes capitales et chancelleries occidentales se sont bien gardées de se prononcer sur le sort réservé à Diomaye et son comparse Sonko ces dernières années – pendant qu’ils étaient traqués, harcelés et emprisonnés abusivement – elles n’ont pas tardé à réagir dès l’annonce des résultats. Il faut dire que le raz-de-marrée réalisé par le duo anti-système ne laissait que peu de place aux tergiversations. Même le candidat du pouvoir, Amadou Ba, a vite fait de reconnaître sa défaite et féliciter le vainqueur. Dans ces conditions, Emmanuel Macron, Joe Biden et autres chefs d’États étrangers n’avaient raisonnablement d’autres choix que de lui emboiter le pas et de prendre acte du choix du peuple. En réponse, BDF a réservé des mots rassurants mais fermes à ses partenaires étrangers, promettant de maintenir des relations saines avec ceux d’entre eux qui se montreraient ‘’respectueux’’ du Sénégal. Une allusion en apparence banale, mais qui peut s’analyser comme un marqueur de cette rupture que le nouveau pouvoir appelle de ses vœux : établir avec les autres États des relations d’égal à égal. En ce qui concerne les rapports avec les occidentaux la ligne de BDF est donc très claire, la cause entendue. Cependant, c’est la doctrine qui guidera les liens diplomatiques du Sénégal avec ses voisins immédiats et le reste de l’Afrique qui reste encore à clarifier. Une situation qui s’explique par des dynamiques régionales devenues très complexes ces dernières années.


Bassirou Diomaye Faye Nouveau Pdt. élu du Sénégal & Macky Sall Pdt sortant © Présidence Rep. Sénégal

En effet, bien qu’il ait été longuement tenu à l’écart de certaines initiatives d’intégration comme le G-5 Sahel, le Sénégal est et demeure fondamentalement un pays sahélien. D’ailleurs, il est irréaliste de vouloir penser l’avenir de cette région sans le pays de la Teranga, riche de sa culture de tolérance et de respect des différences, et réussissant sur le continent africain la meilleure synthèse de ce que l’Orient et l’Occident ont à offrir au monde sur le plan culturel. L’espace territorial sénégalais assure également un continuum spatial et philosophique avec le Maghreb via la Mauritanie, pays avec lequel les liens ne sont pas toujours au beau fixe, et le royaume du Maroc, de par leur histoire commune multiséculaire au plan cultuel. C’est d’ailleurs dans ce pays que, selon certaines indiscrétions, le président Macky Sall a posé ses valises après avoir rendu le tablier.  


Dans un Sahel en pleine mutation, Diomaye et Sonko n’ont jamais fait de mystère quant à leur admiration devant la lutte du peuple malien résilient pour la préservation de son intégrité territoriale, le rétablissement de sa cohésion sociale ainsi que son ardent désir pour une souveraineté retrouvée. Il est bien utopique d’imaginer un jour le Sénégal signer la Charte du Liptako Gourma et intégrer l’AES – du moins pas avant que les pays membres de cette alliance ne revienne à un ordre constitutionnel normal. Cependant, il est évident que l’avenir politique de ce pays dépend en grande partie des interactions vertueuses qu’il réussira à générer avec ses voisins sahéliens. Dans la nouvelle Afrique dont nous voyons se dessiner la charpente, le Sénégal de Diomaye-Sonko a une grande place à prendre.


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